Bruno Bézard : « La parole de la France a beaucoup plus de poids »

INTERVIEW- Le directeur général du Trésor, Bruno Bézard, fait le point sur le dossier grec, les réformes en France, les suites des Panama papers ou encore le rôle de la Chine dans le système financier mondial.
– Les Echos, le 15 mai 2016

Le feuilleton grec paraît sans fin. Y-a-t-il cette fois vraiment des raisons d’espérer ?
La situation s’est nettement améliorée depuis 18 mois, quand les banques étaient fermées et les gens dans la rue. Depuis, un programme de 86 milliards d’euros a été conclu avec le Mécanisme européen de stabilité (MES). Et le gouvernement mène des réformes très courageuses. Les résultats de 2015, notamment en termes de finances publiques, montrent que les engagements pris ont été respectés. L’Eurogroupe vient de constater que ces efforts sont réels et d’en tirer la conclusion qu’il fallait commencer à discuter sur la dette : c’est très positif.

Quid du plan de privatisation ?
Le pays s’est doté d’un fonds de privatisation et de gestion, à l’élaboration duquel la France a beaucoup travaillé, en s’inspirant de l’Agence des participations de l’Etat (APE). Ce fonds, qui devrait plutôt être considéré comme un fonds de valorisation des actifs publics, a été l’un des éléments clefs de la négociation sur l’accord du 13 juillet 2015 : les Européens voulaient une garantie tangible en échange des prêts substantiels accordés à la Grèce. Le concept que nous avons proposé a convaincu nos partenaires allemands, qui auraient initialement préféré voir le fonds basé à Luxembourg. Il a aussi convaincu les Grecs, dans la mesure où il ne s’agit pas de brader les entreprises publiques mais de les faire croître avant de les privatiser le cas échéant.

Dans le débat sur le caractère soutenable de la dette grecque – débat qui oppose le FMI et certains pays européens – quelle est votre position ?
Le point de vue de la France est que la dette grecque n’est pas soutenable dans sa configuration actuelle et qu’il faut rapidement prendre les décisions nécessaires pour assurer sa soutenabilité à long terme, afin de donner de la visibilité à tout le monde. Le 13 juillet 2015, les chefs d’Etat et de Gouvernement ont d’ailleurs décidé de la réaménager. On n’envisage pas une réduction de la valeur nominale des créances, mais plutôt un « reprofilage ». Les discussions techniques sur la manière de faire ont commencé, les experts devront proposer des solutions à l’Eurogroupe le 24 mai.

La zone euro est-elle à l’abri d’une nouvelle tempête ?
Nous avons considérablement réduit les risques pour la zone euro, même s’il en existe par définition toujours. Nous avons mis en place des mécanismes de surveillance des risques, tant pour les Etats que pour les banques. Avec l’Union bancaire, un grand pas a été fait : l’organisation ordonnée d’un défaut bancaire permettant d’épargner le contribuable. Les exigences prudentielles ont été renforcées et le lien dangereux entre les banques et les Etats a été coupé. Maintenant, il faut parachever l’Union bancaire en avançant sur la garantie commune des dépôts et en renforçant la force de frappe du fonds de résolution. Le MES pourrait selon nous jouer le rôle de garant de dernier ressort.

Du côté des risques liés aux Etats, ne devrait-on pas se doter d’un vrai FMI européen, un rôle qui pourrait être dévolu au MES ?
En ce qui concerne la Grèce, la présence du FMI est souhaitable. Son implication a fait l’objet d’un débat à l’origine, mais aujourd’hui il est présent et c’est important pour des pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas ou la Finlande, mais aussi pour nous. A moyen terme, le MES, qui est un outil de sécurisation de la zone euro, pourrait avoir vocation à avoir plus de poids.

Faudrait-il conditionner ses prêts à une forme de restructuration de la dette souveraine ?
Je suis très prudent sur ces sujets car cela peut avoir un impact sur les marchés financiers. Avant tout, les règles renforcées du pacte de stabilité et de croissance ont pour objet d’éviter les besoins de restructuration des dettes souveraines. Si le cas se présentait, je ne serais pas favorable à un mécanisme automatique de restructuration de la dette des Etats.

– La zone euro a bâti un ensemble impressionnant de mécanismes anti-crise. Est-ce que toute cette ingénierie n’est pas effrayante du point de vue des citoyens ou vue de l’étranger?
C’est vrai qu’à force d’ajouter des dispositifs, à force de trouver des compromis entre pays, on a créé de la complexité. Cela donne l’impression d’une grande machine bureaucratique, quand bien même il y a un sens général à toute cette construction. Il y a aujourd’hui un vrai besoin de simplification, de lisibilité. C’est essentiel car la complexité tend à éloigner les citoyens de l’Europe. En tant que directeur du Trésor, je passe beaucoup de temps à l’étranger à expliquer ce que nous faisons, en Asie en particulier. Les Chinois, dont les réserves de changes sont…

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